La mélodie retentissait dans ma tête, quelques notes de piano se succédèrent puis après avoir pris une bonne respiration, j'enchaînais sur les paroles d'une chanson d'Adele qui m’avait marqué. Les yeux fermés, je chantai : I will leave my heart at the door I won't say a word They've all been said before, you know So why don't we just play pretend Like we're not scared of what is coming next Or scared of having nothing left Look, don't get me wrong I know There is no tomorrow All I ask is if this is my last night with you Hold me like I am more than just a friend Give me a memory I can use Take me by the hand while we do what lovers do. It matters how this ends, cause what if I ... Puis, ma voix se brisa, une larme coula sur ma joue. Je n'étais jamais tombée amoureuse mais ce sentiment me semblait familier. Ce sentiment d'en vouloir plus, de ne pas avoir l'amour que l'on pense mériter. J'aimerais aimer et ressentir ces choses, vouloir être tout pour ce quelqu'un. Etre parcourue de frissons quand la peau de cette personne frôle la mienne. Lever les yeux au ciel et prier que mon couple dure, que mon amour soit réciproque. Je le voulais. Ou je pensais le vouloir. Pourtant, en moi résonnait cette alarme sonnant le danger que cette envie représentait. Et cette alarme à chaque fois enclenchait quelque part dans ma mémoire, le défilé de mes moments fraternels les plus tendres, puis le départ de Younes. Me rappelant que toute belle chose avait une fin. Cette pensée fit encore plus se briser mon cœur déjà ému par les paroles et les notes qui résonnaient à mes oreilles. J'avais toujours les yeux fermés quand un sifflement me réveilla.
Puis une chaleur s'empara de mon corps, et je me rendis compte que Léonie me serrait dans ses bras. Que les autres avaient l'air inquiets, mais toutefois impressionnés. - Je vais bien, rétorquai-je en essuyant mes larmes avec la manche de ma chemise. J'en profitai pour me détacher de l'étreinte de Léonie et reprendre ma place. Les regards étaient rivés sur moi. Moi, qui voulais me faire discrète. Moi qui n'aimais pas être au centre de l'attention. Sidoine, se rendant compte de ma gêne, demanda à Julio son avis sur nos différentes prestations. - On a bien du talent dans ce groupe. Vous avez clairement des styles différents mais avec le niveau qu’on a, je pense que ça va être une partie de plaisir. Sidoine, je trouve que ta version de la chanson est très belle, j’aime bien comment tu as été moins dans la démonstration vocale, et plus dans l’émotion. Tu nous livres une part de toi avec ce titre et on sent ta mélancolie. On y voit un sentiment authentique et ça, c’est vraiment superbe. Mais attention, j’ai eu l’impression que ta guitare te manquait dans ta prestation comme si tu avais l’habitude de te cacher derrière. J’aimerais t’entendre la rechanter en jouant de la guitare, voir ce que ça donne. Stéphane, j’ai adoré ton énergie, tu as la bougeotte et cette joie qui émane de toi est contagieuse. Les gens adoreront t’écouter et danser au son de ta voix, tu as tout un package. Mais, dans ton flux d’énergie, tu ne prends pas toujours tes inspirations au bon moment. Et sur des chansons plus compliquées, tu pourrais manquer de souffle. C’est à travailler. Ines, tu as une jolie voix, une signature vocale unique. Je n’ai pas grand-chose à redire, ton interprétation a été spectaculaire. Je veux t’entendre sur d’autres styles les prochaines fois. Léonie, ton point fort est ton envie de partager, de mettre le feu. J’ai adoré ta version, on sent une certaine peur tout de même de dénaturer la chanson. Tu essaies par moments d’apporter ta touche personnelle mais tu es trop hésitante. Je suppose que c’est par respect pour la chanson. Essayons donc de trouver une chanson que tu ne connaisses pas pour que tu puisses prendre tes aises et la reprendre à ta sauce. Et Célia, j'ai l'impression que la chanson compte beaucoup pour toi. Tu t’es laissé submerger par tes émotions, mais j’aurais voulu te voir essayer de continuer. Il ne faut pas abandonner dans la vie aussi vite, le succès exige plus de travail et d’acharnement. Il y a eu quelques soucis de justesse mais j’avoue que cela ne m’a pas tant gêné. Dans ton interprétation et ton histoire, ce sont aussi tes défauts et tes chagrins qui font l’originalité de ta performance. Ensuite, Julio nous passa des feuilles blanches, nous demandant chacun de donner notre avis sur les autres prestations en deux, trois phrases, puis il récupéra nos papiers. Et pendant une heure, nous avons fait des vocalises et nous avons travaillé notre respiration. Cela me refit penser à mes cours de chant que j’appréciais énormément. A nos Noël rythmés par des chansons festives, à cette chanson que nous avions écrite pour la fête des mères et je repensais à Younes me disant que j’étais faite pour chanter, pour émouvoir les gens. Je me dis qu’en l’espace de deux jours, j’avais détruit l’effort de plusieurs années. Je relâchais mon attention et je me laissais approcher, je me laissais submerger par des sentiments enfouis. Un couplet de chanson m’avait cassé. En l’espace de 24 heures, j’avais traversé tant d’états d’âme, tant d’émotions et j’étais redevenue faible. Mon téléphone m’ôta à ma rêverie et je me rendis compte qu’il était déjà 9h40. Yohan me demandait si je m’étais inscrite à la visite de 10h. Je lui répondis que je ne comptais pas rater une seule visite. Il me proposa de m’appeler une fois le cours fini pour faire les visites du jour et manger avec lui. Sa sœur ne voulait pas se joindre à lui. Baptiste et elle avaient prévu autre chose. J’acceptai pour ne pas me retrouver seule. Moi qui l’ai toujours été. Le dernier quart d’heure, Julio nous proposa de nous mettre en binôme. Je me retrouvai avec Léonie. Nous devions expliquer notre avis à notre binôme au sujet de sa prestation et puis nous devions proposer des pistes d’amélioration si nous avions des critiques. Léonie trouvait ma prestation touchante, et comprenait que trop d’émotions pouvait nuire à mon talent. Elle pensait que je devais affronter cette boule d’émotions qui m’empêchait de chanter comme je le devais. Apparemment, je devais faire face à cette peur de montrer qui je suis, on me voyait essayer d’étouffer mes sentiments. Il fallait que je les utilise à bon escient, que je les laisse s’exprimer au travers de mes chansons. Elle me proposa de choisir d’interpréter mon émotion. Si j’étais en colère, je devais laisser ma colère guider mon choix de chanson et l’exprimer en chantant. C’était libérateur. Quand elle avait commencé à chanter du rock, elle était dans sa période rebelle et du coup, ça lui a permis de se vider les tripes. Je lui livrai que j’étais jalouse de sa passion, que je n’étais pas sûre de vouloir faire carrière dans la musique. Je lui expliquais qu’en tant qu’ignorante, je ne pouvais lui expliquer comment être une bonne rockeuse mais que j’avais beaucoup apprécié sa performance. Je ne connaissais malheureusement pas la version originale. Outra, elle ouvrit son sac, en sortit une chose de noire vêtue et gribouilla sur une page de son agenda un top 10 des chansons de rock à connaître. Je la pris et esquissai un sourire avant de me lever au moment où Julio ne disait que c'était la fin de ce premier cours. En quittant le conservatoire, je me retrouvai à marcher à côté de Sidoine qui me dit qu’il aimait bien ma voix. J’en devenais toute rouge, je ne répondis pas et ralentit pour ne plus voir de lui que son dos.
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