Une fois la visite finie, nous nous dirigions vers une rue le long de la paroi de cette cathédrale. Carrer del Bisbe. Une horde de gens traversait cette ruelle. Toujours ces mêmes murs de pierres, parfois des gravures les décoraient, et par moments des grilles aux fenêtres. Tout était à photographier dans ce quartier. Je m’arrêtai net après m’être cogné à Baptiste qui avait freiné son avancée. Il s'était arrêté pendant que je contemplais la grille d’une fenêtre. Cette grille dont le fer forgé s’enroulait par endroits, pour se briser en douceur à d'autres. Ces brisures, ces courbures étaient fascinantes. A ma droite, les grilles étaient plus monotones. De simples segments qui s’entrecoupaient pour former des carrés, on dirait la fenêtre d’une salle de donjon. Je frôlais les pierres en relief sur les bordures de ce hublot et je m’imaginais prisonnière dans une pièce avec pour seul éclairage les quelques rayons qui daignaient traverser l'espace entre ces grilles. Cet ombre au sol, ces carrés de lumière. Pendant que je caressais l’acier froid de cette grille, j’entendis les cris d’émerveillement des personnes autour de moi. C’est à ce moment que je me heurtai à Baptiste. Les cliquetis des appareils photo retentissaient encore et encore. Je levai la tête pour regarder l’origine de tout ce chahut. Et je le vis. Ce pont. Il liait le mur à ma droite au mur de gauche. Un pont suspendu en pierre blanche ou jaune pale. Il était d’une couleur plus claire que celle des murs. Il était soit plus récent, soit moins souillé. Cet arc de cercle au-dessus de nos têtes. On nous expliqua qu’il unissait la maison du Canon (Casa dels Canonges) et le palais de la généralité de Catalogne (Palais de la Generalitat) et qu’il était, en effet, plus récent que les deux constructions. L’architecte dont c’était l’œuvre, Joan Rubio i Bellver, voulait construire une série de nouvelles réalisations inspirées du style gothique du quartier. Mais le gouvernement avait refusé son projet. Et il parait qu’il avait secrètement incorporé un crâne caché avec un poignard à l’intérieur. La légende dit que si l’on traverse le pont et que l’on voit ce crâne, un malheur s’abat sur nous. J’adorais les légendes urbaines. Celle-ci donnait un côté encore plus intrigant, plus palpitant à ce pont. Cette fois, je décidai de prendre une photo. Ce pont, je voulais le conserver dans un album de voyage. Je voulais capturer la construction et la légende.
Nous continuions notre trajet dans cette merveille qu’était ce quartier gothique. Nous longions la rue et plus loin, un public assistait à un petit concert improvisé. Un musicien jouait un air de John Legend. « All of me loves all of me, love your curves and all your edges, all your perfect imperfections ». La foule autour chantait à l’unisson ce refrain. Et cette voix douce, mélodieuse nous touchait. Je m’arrêtai, je voulais l’écouter la chanter. Je vis le groupe continuer un peu plus loin. Puis Victor revint et tout le groupe se laissa bercer par cette mélodie. Les notes de sa guitare flottaient dans cet espace. Et cet espace exigu faisait résonner sa voix et ses notes donnant encore plus de profondeur à cette ballade. On y croyait, il l’aimait et il l’aimait de tout son être. Je me mis à chanter cet air que j’avais tant écouté. Et ce moment me fit ressentir une joie que j’avais perdue. Je voulais chanter cette ballade et bien d’autres. J’allais m’inscrire au cours de chant et de musique. C’était une évidence. Pendant que je chantais cette douce chanson d’amour, moi qui n’ai jamais aimé, Yohan qui était à ma droite me fixait. Je n’avais senti sa présence qu’à la fin de la chanson. Et me voilà le regardant droit dans les yeux, pendant qu’autour de nous, on applaudissait ce musicien qui saluait son public. - Tu as une jolie voix. - Merci, répondis-je timidement. Avait-il réellement entendu ma voix ? C’est la première fois que quelqu’un d’autre que mon frère m’entendait chanter. J’étais gênée et je ne voulais pas en parler alors je décidai de m’avancer pour lancer une pièce au musicien en lui lançant un sourire de remerciement en espérant que Yohan ne me reparle plus de ce moment. Nous finissions la soirée par les visites de plusieurs places du quartier : la plaça del Pi, la place Saint Jaume... Le quartier en regorgeait, des plus petites, des rondes, des rectangulaires,... par moment on voyait exactement le même décor, mais on s'y plaisait. Il y avait toujours un musicien ou un mime, une statue humaine. Toujours un artiste de rue nous exposait son talent. Nous clôturions nos visites par la Plaça Reial. La plus singulière. C’est apparemment l’une des places les plus populaires de la ville. Ici nous changions de style, on troquait le gothique contre une architecture plutôt napoléonienne. Le jaune était toujours là dans ces murs mais plus de pierres apparentes, c’était plus moderne. Au milieu trônait la fontaine des « trois grâces » et deux magnifiques candélabres faits par Gaudí. Toujours du monde sur la place est tout autour, dans les différents cafés et restaurants. Il était déjà 19 heures. Victor nous expliqua que notre balade de la journée se terminait là. Les autres groupes n’allaient pas tarder à arriver. Il nous proposait soit de manger dans un restaurant du coin ou de retourner du côté de la cathédrale. Les samedis soirs il y avait des démonstrations de danses traditionnelles (sardanes). Il allait repartir et nous laisser profiter de ce moment comme on le voulait en nous rappelons que dans deux heures voire trois heures maximum, nous accordant une heure de sursis, il attendait nos messages. Nous n’étions qu’à 10 minutes de l’hôtel. Nous étions libres de faire comme nous le voulions. Je cherchai Baptiste du regard dans la foule. Il essayait de me faire signe justement. Et pendant que je galérais à me frayer un passage jusqu’à lui, une main prit la mienne. Yohan était là. C’est comme s’il ne m’avait pas quitté pendant toute la visite. Il me guida jusqu’à nos deux acolytes. Et la main tremblotante, je m’ôtai à ce contact. Il avait l’air perturbé mais n’avait pas eu le temps d’en dire mot. - Une glace en terrasse, ça vous tente ?, proposa Baptiste. - Oui. Trop, répondis-je toute contente à la fois de l’idée et de m’être défilée de ma gêne. Nous nous sommes installés, nous avons dégusté des glaces, puis des tapas. Plateau de charcuterie, patatas bravas, pan con tomato. Nous goûtions à tout. Et nous échangions nos avis au sujet des visites. Du moins, ils le faisaient, je ne répondais que quand on cherchait à me mêler à la discussion. J’apprenais à les connaitre sans pour autant me révéler. Nous avions décidé de passer par la Plaça Nova en rentrant, voir si le petit spectacle durait encore pour en profiter. Et heureusement, nous avons pu partager cette joie de vivre catalane, pendant que ces artistes dansaient en ronde. D’autres petits cercles de locaux dansant ensemble se formaient également par-ci et par-là. La sardane était une danse populaire en Catalogne. Une des rondes s’approcha de nous et Lorie, sans se faire prier, se joint à la danse. Puis Baptiste s’y tenta. Et me voyant rougir, Yohan choisit de rester avec moi. Nous les regardions profiter, rigoler et se laisser aller. Je n’arrivai pas à être aussi nonchalante. Le contact de la main de Yohan, même celle de Baptiste me terrifiaient. Je ne pouvais pas tenir la main d’un inconnu et danser avec quiconque comme eux. Yohan me fit signe d’aller me poser avec lui au niveau des marches de la cathédrale pour les regarder. Je le suivis. Nous ne nous sommes pas adressés la parole et cela me convenait. Ce soir-là, nous rentrions à l’hôtel et je rejoins ma chambre en leur souhaitant une bonne nuit, prétextant avoir besoin de dormir. J’avais besoin de respirer un peu et de me retrouver avec moi-même et il fallait que nous envoyions nos choix en moins de 10 minutes pour être dans les temps.
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