Après ces présentations, je suppose que vous me détestez déjà. Attendez de voir la suite. J'ai passé mon bac, et c'était tellement banal que je ne m'en souciais que peu. Je ne voulais pas aller dans une école pour surdoués parce qu'on penserait me comprendre et je n'appartiens pas à cette case. Je ne peux m'entendre avec personne, je m'y suis résolue.
Les résultats du bac enfin annoncés. Je l'avais eu haut la main et mes parents en étaient tout contents. C'était pitoyable. Ce n'était pas un succès. J'avais honte de la fierté et du bonheur que je voyais dans leurs regards et qui pour moi, n'étaient en aucun cas justifiés. Mon frère, Isaac, venait pour la petite fête qu'organisaient mes parents. Je ne voulais pas le voir. Je ne l'avais pas revu depuis son départ. Mes parents lui rendaient souvent visite mais je refusais de lui adresser la parole, et je n'y allais par conséquent jamais. Pourtant, ce soir je n'allais pas trouver de prétexte pour y échapper. Je devais faire honneur à mes parents, qui accueillaient leurs amis et des membres de la famille. Je me préparai, mis une robe noire assez jolie et des sandales à talons roses, une tenue que ma mère avait choisi pour l'occasion. Mes parents étaient ravis. Je me demande si j'étais capable de sensibilité à ce moment car même les larmes que ma mère avait versées ne m'atteignaient pas. La soirée débutait, j'étais dans le salon à me goinfrer de chocolat pour en oublier la venue d'Isaac. J'étais stressée. Nous étions tellement proches avant son départ. Pour moi, il représentait tout, mais visiblement il ne s'en rendait pas compte. Il avait choisi de partir. On me frôla l'épaule et je sus que c'était lui. Je me retournai et, il était beau en costume. Il était fier et heureux. Mais il savait que pour moi ce n'était pas un exploit, il savait que ce n'était rien de bien important. L'avait-il oublié ? Avait-il effacé le souvenir qu'il avait de moi ? Pendant qu'un tourbillon de questions tournoyait dans ma tête, il se décida enfin à parler : - Salut Célia, ça fait un une éternité ! - Ah, tu te rappelles de mon nom ? - Arrête. Tu m'en veux encore. Tu savais que je voulais poursuivre mes études en Angleterre. Je n'ai pas choisi de te laisser tomber, j'ai juste entrepris de réaliser mon rêve. J'aurais cru que tu comprendrais mais bon, tu es bien trop têtue. Je m'en suis douté. Tu n'es jamais venu me voir. Pendant 6 ans, j'attendais que tu te dises qu'après tout, tu tenais à ton grand frère et que tu l'encourageais. Mais jamais ça ne t'a traversé l'esprit. Bien sûr, je te connais mieux que quiconque, ça ne m'étonne pas. - Ah bon ? - Je te connais bien. Toujours à vouloir tout ou rien. - Je me suis contentée de rien alors. - Tu as déjà TOUT. Tu es belle, intelligente et talentueuse. Papa et maman t'adorent. Et je t'aime plus que tout, moi aussi même si tu te persuades du contraire. Pourquoi veux-tu à tout prix croire que je t'ai laissée tomber ? Je me retournai. Je voulais partir. J'entrepris de monter les escaliers pour aller dans ma chambre mais il me rattrapa et me tint le bras. - Célia, écoute-moi bien, je sais que tu te caches derrière ton petit air prétentieux pour empêcher les autres de t'approcher. Je sais aussi que c'est à cause de moi. Pourtant, je n'ai pas à m'excuser. C'est ta manie à vouloir tout avoir qui te gâche la vie et qui te brouille la vision. Je me suis épanoui parce que j'ai fait ce que je voulais et tu devrais être fière de moi. Tu devrais faire pareil. Tu comprendrais à ce moment-là la raison de mon départ. J'attendrais que tu en arrives au même point. Il y a une chose que je veux faire. Ça t'aidera peut-être. Il me serra dans ses bras. Il me serrait très fort et j'eus l'impression que ça avait éveillé en moi des sentiments que je croyais disparus à tout jamais. Non. Ce n'est pas un simple câlin ni un beau discours d'écrivain - car mon frère adorait la littérature, la littérature anglaise plus précisément et il était doué avec les mots - qui allaient tout changer. - Célia, qu'est-ce que tu aimes le plus ? Je ne pouvais pas répondre car je ne le savais pas. Je n'aimais rien de ce que je faisais. Je ne faisais rien par passion. Je voulais juste éviter d'avoir du temps libre. Eviter de penser, de penser à lui et à tout ce que nous avons vécu. Pire. A ce que nous aurions pu vivre. Mais à cause de cela, je n'étais plus capable d'amour. - Célia, tu ne sais pas, tu n'es passionnée par rien de ce que tu fais, tu te tues à vouloir tout avoir, tout réussir, mais au fond, rien ne te donne du plaisir. J'avais honte car il avait tout perçu. Je fixai le sol pour échapper à son regard. Il fallait que j'échappe à ce regard qui perçait facilement le voile me recouvrant. Il détruisait en un claquement de doigts la muraille que j'avais bâti pendant des années. Il prit mon visage entre ses mains et m'obligea à lui tenir tête. - Ecoute moi bien, tu as 18 ans et tu as passé ta vie à en vouloir aux autres. D'abord aux parents parce qu'ils n'étaient pas aussi présents que tu l'aurais voulu. Mais à ce moment là, j'étais là. Alors tu t'accrochais à moi et je voyais dans ton regard ce que nos parents ont toujours voulu. De l'amour. Tu m'aimais de tout ton cœur. Après mon départ, à quoi t'es-tu attachée ? A rien ! Pourquoi ? Tu avais pourtant maman qui faisait tout pour toi. Tu sais qu'elle a renoncé à sa passion, qu'elle a démissionné pour toi. Tu n'étais plus une gamine, mais tu agissais comme tel. Maman a abandonné son club de lecture pour toi. Sa passion pour les livres a toujours été toute sa vie, même avant de rencontrer papa. Elle y a renoncé parce qu'elle savait que tu te sentais seule. Comment tu l'as remercié ? Tu ne l'as pas fait ! - Isaac, arrête ! Ils ne me connaissent même pas. - Tu ne leur as jamais donné cette chance. - Qu'est ce que tu en sais, toi ? Tu disparais pendant 6 ans. Et tu reviens comme si rien n'avait changé, j'avais oublié combien tu étais arrogant. Je m'éloignai de lui en rage. J'avais menti. Et il en était choqué. Il n'avait jamais été arrogant et je ne pouvais plus lui tenir tête ni le regarder en face. C'est la première fois que je lui disais des mots aussi blessants. Il a toujours été un père, une mère, un confident, un ami, tout. Je m'en voulais mais je lui en voulais encore plus. Je m'enfermai dans ma chambre et me jetai sur mon lit. Espérait-il que j'en pleure ? Non, je ne m'en trouvais pas la force. Je n'étais pas assez secouée, pas assez blessée pour pleurer. Je pensais à tous ses mots et à ce que j'avais dit. Qu'est-ce que la Célia qu'il avait toujours aimée aurait pu dire ? Il toqua à ma porte mais je ne lui ouvris pas. - Célia, écoute, je ne suis pas là pour qu'on se dispute. Je suis heureux que tu en sois arrivée là. Ma petite Célia a grandi. Elle a un peu changé, mais elle est toujours aussi fragile, sensible et innocente. J'en suis sûr. Je sais aussi que tu ne dois pas faire un mauvais choix pour ton avenir par entêtement. Tu dois te trouver une passion et cet été doit être déterminant. Je resterai à la maison avec les parents et on attendra ton retour. Sans bouger, je lui répondis : - Je ne vais nulle part. Il toqua à nouveau, et cette fois je lui ouvris : - J'ai dit que je n'allais nulle part ! - Si, ma chérie, tu ne resteras pas enfermée dans ta chambre à te morfondre sur ton sort tout l'été. Il sortit de sa poche un ticket et me le tendit. Je ne le pris pas et le regardai avec étonnement. - C'est un voyage organisé, tu partiras à la conquête de l'Europe et de l'Asie de l'Est avec un groupe de lycéens et d'étudiants. Ils prévoient de faire des campings, des randonnées, du shopping, des concours de chant et tout un tas d'activités que tu vas adorer. Tu as besoin de te mêler aux autres pour avoir conscience de la chance que tu as d'avoir des parents comme les nôtre. C'est mon cadeau. - Je n'en veux pas ! répondis-je en balayant sa proposition de la main. - C'est sensé durer 45 jours. Donne-toi une chance. Et si au bout d'une semaine ou deux ça ne te plait pas, tu pourras rentrer. Et je serai là. Je reste ici 3 mois. Je veux qu'on passe du temps en famille à ton retour. Il savait toujours trouver les mots justes, cela ne servait à rien de continuer à refuser. Je me résignai et pris le ticket. Je dois avouer que cela avait un peu piqué ma curiosité aussi. - Ça commence à Madrid. Tu vas adorer. Tu pourras visiter le Santiago Bernabeu comme on en rêvait plus jeunes. Tu te rappelles comment on adorait regarder les matches du Real Madrid ensemble ? Je ne sais pas si tu as arrêté mais on a toujours voulu y aller ensemble. Je t'offre la chance d'y aller en premier. Je souris. Ce n'était pas un sourire forcé pour une fois mais je souriais par nostalgie de ces moments passés avec lui. Je me sentais prête à découvrir ce que ce voyage pouvait me réserver.
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